«L’âme
qui loge la philosophie doit par sa santé rendre sain le corps
lui aussi»
La philosophie, la santé, la solitude…
ces thèmes de Michel de Montaigne, philosophe et écrivain
du seizième siècle, nous intéressent toujours.
«Mon métier et mon art, c’est vivre»
est un sentiment qui mérite notre regard ainsi que notre admiration.
Ses pensées et ses essais restent contemporains et accessibles.
Si on les visite nous serons accueillis avec une générosité
exemplaire.
Quand Montaigne parle de la douleur et de la maladie,
il parle d’un sujet qui le concerne intimement. Comme son père,
Montaigne a souffert d’une lithiase rénale et vésicale,
une maladie fatale et extrêmement douloureuse.
Pendant le seizième siècle aucune
guérison n’existait et il y avait autant de remèdes
que de médecins. C’est ce fait qui illustre la méfiance
bien connue de Montaigne envers les médecins.
Néanmoins, Montaigne n’encourage pas
un rejet de la médecine mais il fait promouvoir un engagement
personnel et profond face au processus de la maladie et de la souffrance.
«Je porte en moi mes moyens de préservation, qui
sont la détermination et la patience». Sa réponse
stoïque est fondée sur la conception que l’âme
et le corps sont indivisibles.
«Ce n’est pas une âme, ce
n’est pas un corps que l’on forme : c’est une homme».
Le corps n’est pas contre moi, le corps c’est moi ! Quand
nous sommes malades, comme quand nous sommes en bonne santé,
ce n’est pas seulement le corps qui parle.
La
santé est souvent conçue comme un état vide,
une absence de la maladie… comme le bien peut être conçu
comme l’absence du mal, ou le bonheur comme l’absence
de tristesse. Une telle conception bannit la santé de notre
vie s’il persiste le moindre vestige d’une maladie. Mais
est-ce vrai… est-ce que la maladie possède le droit d’occuper
et régner à chaque minute de notre journée? Pour
Montaigne, la santé n’est pas l’absence de la maladie,
mais elle se munit d’une valeur en soi, «la santé,
dis-je, le plus beau et le plus riche cadeau, que nature nous sache
faire».
Néanmoins, la maladie nous entoure toujours.
Elle possède la capacité de s’impliquer dans notre
vie, arrivant dans des déguisements innumérables. De
plus, nous souffrons les inquiétudes d’une maladie qui
n’est pas arrivée, «celui qui craint de souffrir
souffre déjà du fait qu’il craint».
Nous ne sommes jamais au-delà de la saisie de la maladie mais
il est dans notre pouvoir de résister à ses avances
et de limiter son autorité.
Mais, comment affronter la douleur, la maladie ?
Ce n’est pas une question pharmacologique, mais morale…
et c’est de cet aspect là dont nous parle Montaigne.
Dans son essai de la Solitude, Montaigne a écrit «ce
qu’il vous faut rechercher, ce n’est plus de savoir comment
le monde parle de vous, mais comment vous parlez vous à vous-même.
Retirez-vous en vous-même, mais préparez-vous d’abord
à vous y accueillir». Le corps malade nous parle
avec insistance, avec une voix qu'il est impossible d’ignorer.
Quand même il faut trouver le moyen d’y répondre,
à perpétuer une conversation significative avec nous-mêmes,
créatrice et saine. La douleur (comme le plaisir), la maladie
(comme la santé) «exige un engagement plus profond
dans notre singularité» écrit Charles Taylor.
Montaigne est en accord avec un tel propos. C’est la fidélité
à soi-même qui est clef de la santé, et de la
vie.
Montaigne n’écrit pas que pour les
malades mais aussi pour ceux qui assument la responsabilité
de s’occuper de ceux qui souffrent, de ceux qui osent les soigner.
La pensée de Montaigne est riche en conseils: être prudent
quant aux limites que notre connaissance peut atteindre, conserver
l’humilité en présence de notre science et garder
le courage quand notre ignorance nous défie. Patient ou médecin,
notre responsabilité envers nous-mêmes reste la même:
Connais-toi toi-même.
— MS